Langazel, plus ancienne tourbière de Bretagne.
La tourbe (ci-contre @Ronan Gladu) est un sol végétal fossilisé créé par l’accumulation et la décomposition incomplète de débris végétaux, souvent des mousses appelées sphaignes. Elle se forme dans un environnement saturé en eau, pauvre en oxygène, et acide. Sa vitesse de formation est très lente, généralement de 0,2 à 1 mm par an, et varie en fonction des conditions locales (climat, végétation, hydrologie). A Langazel, la tourbière est datée d’environ -11 700 ans soit la période appelée Holocène, ce qui en fait à ce jour la tourbière la plus ancienne de Bretagne !
Voyons maintenant plus en détail le processus naturel de formation d’une tourbière :
Il y a 10 000 ans…
C’est la fin de l’ère glaciaire et du paléolithique. Les hommes vivent de cueillettes et de chasses. À Langazel, le climat froid a façonné un paysage de toundra, où dominent herbes rases et marais. Dans le sol de Langazel, la présence d’une couche limono-argileuse empêche l’infiltration de l’eau. Le marais de Langazel n’est pas homogène, il existe plusieurs cuvettes plus ou moins profondes. La tourbière s’installe avec les premiers dépôts organiques.
Il y a 6 000 ans…
Débute le néolithique. À cette époque, nos ancêtres érigent menhirs et tumulus et inventent les haches polies. Le climat se réchauffe : à Langazel, les arbres progressent naturellement de manière spectaculaire. La forêt humide d’aulnes domine, ailleurs, c’est la chênaie. La végétation envahit les étangs petit à petit qui commencent à se fermer.
Il y a 1 000 ans…
Nous sommes au Moyen Âge, l’homme a déboisé et cultive les céréales. Notre paysage se transforme, avec la culture du sarrasin et des céréales. La lande s’étend, semble-t-il suite à l’appauvrissement des sols. Au sein de la tourbe, comme le milieu est privé d’air, les micro-organismes qui y vivent, ne peuvent dégrader le matériel végétal mort. Celui-ci s’accumule de plus en plus et la profondeur de la tourbière ainsi formée augmente.
De 1800 à 1950…
Le bocage breton se met en place, l’homme plante des haies et entretient les talus. À Langazel, les prairies irriguées fournissent le fourrage nécessaire à l’élevage, et la tourbe accumulée sert de combustible. Aujourd’hui, la tourbe ne se forme presque plus à Langazel et le paysage du site à tendance à se refermer avec l’avancée des arbres et la perte des activités paysannes des parcelles.
Exploitation de la tourbe
Déjà exploitée durant la Guerre 1914 – 1918, la tourbe, une fois séchée, offrait aux propriétaires et riverains un combustible d’excellente qualité, qui servait à chauffer les habitations notamment lorsque le charbon et le bois faisaient défaut. Lors du dernier conflit, la tourbière de Langazel, desservie par l’ancienne voie ferrée à voie étroite reliant Landerneau à Brignogan par Lesneven, offrait donc de grandes possibilités de distributions.
C’est après décapage de la surface du terrain que la découpe s’effectuait jusqu’à une profondeur pouvant atteindre 1m50. La tourbe était alors extraite en brique à l’aide d’une bêche. Les plaquettes retirées mesuraient 15 à 20 cm de long sur 8 à 10 cm de large; par deux ou trois, elles étaient alors mises à sécher. Leur transport vers les wagonnets se faisait sur des civières. Ce rôle incombait généralement à la main-d’œuvre féminine, très nombreuse, les extracteurs étant plutôt des hommes.
Cette main-d’œuvre était principalement originaire des communes voisines, surtout de Lesneven, mais on y trouvait aussi des réfugiés de Brest et de Kerhuon. Des jeunes gens trouvèrent là des complicités bienveillantes pour éviter le S.T.O (Service du Travail Obligatoire) qui les aurait dirigés irrévocablement vers l’Allemagne.
Il est difficile, voire impossible, de chiffrer la quantité de tourbe ainsi extraite, mais elle pouvait probablement s’élever journellement à plusieurs centaines de tonnes.
Aujourd’hui, l’aspect des lieux a quelque peu changé, mais le paysage conserve les traces de cette exploitation passée. Outre le ballast de l’ancienne voie ferrée, on devine assez facilement en se promenant sur site les anciennes fosses d’extraction de tourbe.
La tourbière, archive naturelle des paysages anciens et de la présence humaine.
La tourbe, étant un sol fossilisé, possède l’incroyable capacité de figer dans le temps différents éléments végétaux, tels des grains de polens. Les sols tourbeux agissent ainsi comme de véritable archives naturelles qui permettent de se réprésenter assez fidèlement les paysages naturels préhistoriques. A Langazel, les pollens conservés à différentes profondeurs sont déterminés sous microscope optique (ou parfois électronique). Cette méthode permet l’identification précise des plantes de la tourbière et des alentours tout au long du développement du marais. Leur datation au radiocarbone nous renseigne sur l’âge des différents paysages. Ainsi, une étude pollinique (par D. MARGUERIE et N. MARCOUX du CNRS en 1998-1999) réalisée à partir de carottages, ayant atteint 1,65 m de profondeur dans la tourbe, a permis de dater la naissance de la tourbière et de suivre son évolution sur plus de 10 000 ans.